La Bête, une symbiose Homme/animal complexe.
On n'a jamais cru voir que la marque d'un sadique criminel dans la forme des meurtres de la Bête, mais personne ne semble avoir fait le parallèle entre l'aspect de ces meurtres et celui des rituels d'exécution souvent pratiqués lors des guerres de religion à l'encontre des hérétiques: mises en scène, mutilation des cadavres, etc.
Dans le même esprit que le massacre de la Saint-Barthélemy, la Bête du Gévaudan pouvait-elle donc n'être qu'un objet symbolique destiné à marquer durablement les mémoires, à ancrer plus profondément encore la culpabilité religieuse dans l'esprit des populations d'alors ? La Bête n'était-elle qu'une nouvelle éminence du conflit religieux qui opposait, depuis plusieurs siècles en France, catholiques et protestants ? Une arme de guerre volontairement dressée à tuer dans cet esprit de fanatisme ardent et cruel ?
C'est possible, et d'autant plus vraisemblable que, comme nous le savons, la situation était particulièrement tendue au 18ème siècle en Gévaudan, des suites du conflit qui opposa les huguenots cévenols à l'autorité royale, entre 1702 et 1711.
D'ailleurs, il est étonnant de remarquer en ce sens qu'il subsistait encore, par exemple, à la tête des principales baronnies du Gévaudan, des descendants directs des plus grands contestataires de l’autorité royale sous le règne de François II et Charles IX lors des plus anciennes guerres de religion, à savoir les Guise et les Bourbons.
La Bête, un animal conditionné à être sélectif.
Par là, il est intéressant de constater que la Bête ne s'attaquait en majorité qu'à des femmes ou des enfants, ce qui n'est pas à mon sens un signe d'opportunisme ou de faiblesse, mais plutôt une forme de stigmatisation trop marquée pour être naturelle et anodine.
Cet élément est d'ailleurs à mettre en lien avec la nature de la Bête, que les témoins décrivaient comme tenant à la fois du loup et du chien.
Les traits morphologiques principaux qui ressortent en effet des principaux témoignages concernant l'aspect de la Bête permettent de dresser le tableau suivant: la Bête, en plus de ressembler au loup mais également au chien, arborait un pelage rougeâtre à poils raides; un poitrail fort contrastant avec un derrière plus levretté; un longue raie noire tout le long du dos; un dessous de ventre blanc.
D'un point de vue purement comportemental, dresser un état des lieux devient un peu plus complexe: la Bête est semble-t-il agile, rapide; elle court même parfois par bonds. Des témoins la décrivent comme étant timide, voire peureuse certaines fois, tandis que d'autres font état d'une redoutable hardiesse. La Bête témoigne donc d'une certaine versatilité; tantôt elle fait preuve d'une extrême violence, tantôt elle se montre craintive, voire peureuse.
Le point essentiel de ce listing comportemental reste bien entendu cette absence de peur notable vis à vis de l'être humain, qui la conduira parfois à attaquer, alors même que des coups de fusil auront été tirés dans sa direction, et dans le périmètre même des battues qui seront organisées contre elle. La Bête traverse également les villages.
Mais l'extrême dichotomie comportementale qui s'exprime chez la Bête laisse tout de même entrevoir une nature partagée entre la haine et l'affection de l'Homme, aspect que l'on ne retrouve pas chez un animal sauvage, du moins pas dans une mesure aussi importante.
Ce qui conduit à penser que la Bête avait côtoyée l'Homme durablement, dans le cadre d'une domestication, par exemple.
Ce détail, couplé au fait de l'évidente symbolique religieuse qui se cachait derrière la forme des meurtres de la Bête, en plus de celle de l'animal meurtrier en lui-même, laisse à penser que la Bête avait probablement été dressée à tuer.
Le chien, un personnage détesté de la Bible.
Dans ce cas, le chien apparaît comme étant l'animal le mieux placé pour remplir ce rôle; et d'ailleurs, les témoins oculaires, à savoir les rescapés d'attaque principalement, constant dans ce qu'ils décrivent, ne parlent généralement que d'un individu ayant à la fois des traits du loup et du chien.
Le tableau morphologique dressé ci-dessus ne permet pourtant pas de cerner une espèce en particulier, mais il se rapproche toutefois de la description de certaines races de chiens que l'on connaissait déjà à l'époque.
L'aspect "musclé" de la Bête, qui est évoqué sous différentes formes dans de nombreux cas, tend à orienter son identification vers une race relativement véloce et massive, ainsi que la force et l'agilité dont elle témoigne.
On retrouve ces traits de comportement en particulier chez les chiens de combat, à l'image de l'American Staffordshire Terrier, que l'on opposait autrefois, lors de joutes bestiales, à des taureaux, ours et félins, dans la parfaite lignée des molosses de guerre antiques utilisés par les Egyptiens, Perses, Romains et Grecs pour semer la terreur sur les champs de bataille.

L'American Staffordshire Terrier.
La Bête ou la nouvelle rébellion des Impurs contre le Dieu-Roi.
A ce titre, la bête, le chien, n'est-il pas, dans la Bible, la personnification suprême des Impurs, des Violents, du pêché; des méchants en somme ?
Si l'on admet que la Bête avait effectivement une signification symbolique, il convient également de dire que la stigmatisation de la femme et de l'enfant en avait certainement une aussi.
Porter atteinte à la femme et à sa descendance était, de fait, une façon d'affirmer, avec véhémence, son refus d'adhésion au culte et à l'autorité suprême, représenté par le Roi qui incarnait depuis toujours, l'image de Dieu sur Terre; le Père, à l'image du Roi-Soleil.

Deux dogues se livrant bataille au haut d'une colonne de l'église Saint-Gervais-Saint-Protais de Langogne.
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