"Le Triangle du Gévaudan", écrit par Pierre Perrin.

Il est parfois de ces ouvrages qu'il faut savoir prendre au-delà des mots. Et il faut croire que "Le Triangle du Gévaudan", écrit par Pierre Perrin, est l'un de ceux-là.
On ne sait pas grand chose de cette publication qui semble pour le moins très méconnue dans l'univers de la Bête. Et pour cause, on ne trouve presque rien qui y'a trait sur internet, et la plupart des bibliographies sur le sujet ne la mentionnent pas.
Je n'avais, jusque là, jamais entendu parler de cet ouvrage, et ce n'est pourtant pas faute d'avoir balayé l'éventail de tout ce qui avait été produit sur la Bête en 7 ans.
Autant dire que "Le Triangle du Gévaudan" est pour moi une étrangeté. De ce qui est indiqué à l'intérieur, nous apprenons que Pierre Perrin était journaliste et qu'il a parcouru la région du Gévaudan, qu'il connaît bien, pour alimenter son travail.
La singularité du "Triangle du Gévaudan" réside surtout dans l'incohérence des propos qui sont tenus, et sa vraie nature n'apparaît pas explicitement: il s'agit, à priori, d'un ouvrage dont le but est d'imaginer ce que pourrait être la une d'un journal dont le rédacteur se serait lancé dans une quête d'éléments au cœur des événements à l'époque de la Bête.
Cela ressemble donc, à s'y méprendre, à un récit fictif. Mais certaines annotations entrent justement en contradiction avec la volonté apparente émise par l'auteur, qui indique notamment avoir glissé une "conclusion plausible... pour un lecteur du XXème siècle" en fin d'ouvrage.
Une information, en particulier, retient l'attention du lecteur et surprend dès les premières pages: "Les massacres du Gévaudan étaient le fait des dragonnades de Claude de Villars".
Est-ce ce même Claude-Louis-Hector de Villars, militaire et diplomate français, maréchal général des camps et armées du Roi, ayant appartenu à la Maison de Villars, né à Moulins en 1653 et mort en 1734 à Turin dont il s'agit ?
Si tel est effectivement le cas, quel est le lien entre le Gévaudan de 1764 et les faits qui s'y passeront, près de 30 ans après sa mort ?
Cet élément n'est d'ailleurs pas le seul à être pour le moins suspect, si l'on en croit les erreurs de nom, relativement étonnantes, qui ont été faites tout au long de l'ouvrage: hormis les erreurs de dénomination de certains personnages qui peuvent se comprendre, il existe de fait dans cet ouvrage de multiples absurdités en matière de localité, à l'image de la forêt de "Marchoire", des "Habats" ou de la "Rivières-de-Saugues", qui est un lieu que je ne connais pas et qui n'existe pas en tant que tel à ma connaissance.
Autant de noms écorchés qui laissent dubitatif, tant l'erreur paraît grossière... voire volontaire.
C'est cette apparente naïveté dans l'écriture qui laisse à penser que le tout est trop invraisemblable pour être vrai.
La conclusion qui est apportée par l'auteur concernant la nature de la Bête accuse le loup sans équivoque; mais ce loup devient finalement un "fauve", puis un "monstre" au fil des pages. Un comparatif à l'Hydre de Lerne est même à constater, précédé d'un autre qui est fait avec le Phoenix, pour qualifier la "renaissance" de la Bête après la soit-disante chasse miraculeuse orchestrée par François Antoine en 1765.
Il y'a, de cette façon, une progression évidente au fil du texte, qui aboutit finalement et contre toute attente à la culpabilité de l'Homme dans cette affaire, comme en témoigne les allusions à Dieu, au "Créateur que l'on aurait offensé, blessé" qui sont faites.
L'expression de "victimes exsangues" est à relever et à mettre en lien, visiblement, avec d'autres éléments qui semblent caractériser le responsable de tous ces ravages: le monstre n'est plus une bête, mais un Homme, en proie à des pulsions sanguinaires; celui-là même, passionné par le mal… On a donc une accusation formelle à l'encontre du genre humain, personnifié ici par une sorte de "maître" qui assouvit ses fantasmes criminels. De là est justement fait le parallèle entre l'histoire de la Bête et les grands holocaustes du 20ème siècle, provoqués et commandités, à l'origine, comme nous le savons, par des humains.
L'ouvrage se termine finalement sur une présence de l'auteur, ou du moins du rédacteur du journal inventé par l'auteur, à Prades, le "village aux Trois Rivières", "propriété du seigneur de Prades".
Pour conclure, je crois qu'il ne faut pas s'attacher à l'apparente invraisemblance de cet ouvrage.
Par la naïveté qu'il dégage et l'apparente nonchalance sur laquelle il est bâtit, "Le Triangle du Gévaudan" est, à première vue, un roman de plus à ajouter à la bibliographie déjà bien conséquente sur la Bête du Gévaudan. Mais il s'avère, à mon sens, bien plus sensé qu'il n'y paraît, et fourmille en ce sens de détails précieux sur la véritable volonté de l'auteur, qui dévoile son hypothèse bien plus subtilement qu'on ne le croit, sous le couvert de ce rédacteur bien peu crédible et de ce journal inventé dont on ne sait rien.
Si tout paraît déroutant, presqu'irréel à première vue, la tournure est, je le crois, beaucoup plus recherchée qu'on ne le pense. L'essence de cet ouvrage pourrait ainsi se résumer de la sorte : "les loups ont eus bon dos. Il y'a derrière la Bête autre chose qu'un simple animal; un "maître", un "puissant", un "dieu"; du reste, un déséquilibré mental qui assouvit, dans l'ignorance la plus totale, des pulsions sadiques et criminelles, protégé par le couvert de la naïveté générale".
La présence de Claude-Louis-Hector de Villars ou du seigneur de Prades dans ce récit, et celle des multiples incohérences qui semblent finalement volontaires ne sont pas anodines. Il s'agit, à mon avis, d'indices quant à la nature du "maître" que l'auteur accuse et qui ont été laissés épars, de manière entièrement volontaire et réfléchie.
"Le Triangle du Gévaudan" est, sans équivoque, un ouvrage extrêmement profond. Il ouvre, je le crois, une piste d'étude dont les premiers éléments nous sont donnés par l'auteur, si tant est qu'on se concentre sur le fond de son récit au-delà de la forme.
2 commentaires :
Excellente analyse , merci beaucoup . Déjà , l'iconographie de la couverture adresse un message fort à ceux qui sont suffisamment éclairés pour le voir .
Merci Patrick.
En effet, couverture entre autre, le livre semble fourmiller d'indices... !
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